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High-Tech

J'accuse... Le remake High Tech

C'est qu'il était congruent cet Emile Zola. Affirmer par écrit ses pensées face à une société hypocrite quant à l'Affaire Dreyfus. Et si nous faisions un remake ? Certes, moins fort, moins éloquent, moins percutant, sur un sujet de moindre importance ; mais l'optimisation fiscale dans le secteur High Tech, n'est-ce pas de l'hypocrisie ?

Cette phrase est belle, très belle, d’une saveur qui est rare. Elle résonne particulièrement bien, d’autant plus quand on la cantonne à la sphère sentimentale ; citation d’Hégel ; « rien de grand ne peut se faire dans le monde sans passion ».

Elle est toutefois moins noble et pure qu’il n’y paraît. Dans l’esprit du philosophe, elle souligne la dimension intrinsèque, involontaire ou non ; comprenez inconsciente ou consciente, Freud n’étant pas son contemporain ; de l’être humain à agir pour des intérêts qui lui sont propres. La Rochefoucauld renchérirait à ne point douter que « nos vertus ne sont que des vices déguisés » ; mais demeure, pour Hégel, que derrière le drap de la raison, pourraient se masquer des volontés insidieuses, parfois inavouables.

Dès lors, l’histoire de l’humanité dans tout son ensemble, ne s’aurait s’envisager, s'analyser qu’a posteriori, qu’une fois passée ; vaine tentative de trouver un logos, une raison à tout, là où il n’y en a pas, en dehors de l’égoïsme humain.

Notre époque n’échappe semble-t-il point à ce manifeste manque de logique et les passions sont, elles, à peine voiler : celles de l’argent, du profit et de l’optimisation fiscale.

Signe explicite de richesse : une trésorerie bien remplie

La trésorerie, pour une entreprise, se définit comme l’argent, entendez cash, dont dispose immédiatement une société à un instant donné. Maintenir un bon niveau équilibre de trésorerie est révélateur de bon fonctionnement, permet de palier à l’imprévu ainsi que de prendre rapidement de nouvelles orientations sans faire appel au crédit.

La trésorière, quand on en a à foison, c’est une manne financière qui peut s’apparenter à un trésor de guerre : là, beau à contempler, bien caché ; mais somme toute parfois inutile. Cette mise de côté excessive, cette thésaurisation à outrance, certains en sont devenus coutumiers pour ne pas dire spécialistes. C’est le cas de grandes sociétés High-Tech, elles ne sont certes pas les seules, mais les montants évoqués dans ce domaine sont particulièrement évocateurs.

Apple, c’est 178 milliards de dollars en cash. Sur les 500 grandes sociétés qui composent l’indice boursier S&P 500 ; Apple pourrait en racheter 480 ; une peccadille. La société lorgne d’ailleurs actuellement sur Tesla, le constructeur montant d’automobiles électriques, dont la valorisation boursière est pourtant de 24,3 milliards. Tesla résiste, par la prestance de son PDG, mais le pouvoir d’Apple est véritablement colossal.

Microsoft, de son côté, a en février dernier fait un emprunt de 10,75 milliards de dollars plutôt que de prendre dans sa trésorerie; laquelle s’élève à plus de 90 milliards de dollars. Pour information, Apple avait fait le même type d’emprunt quelques temps auparavant ; 6,5 milliards de dollars, Selon Reuters, emprunter est si "bon marché" que cela se comprend.

Sauf qu’une des principales raisons évoquées est le fait que nombre de ces sociétés réalisent leurs bénéfices à l’étranger des Etats-Unis et que, pour éviter de payer des impôts, préfèrent garder ces sommes plutôt que de les rapatrier. Ceci ne justifie toutefois pas les raisons pour lesquels cet argent n’est pas plus fortement réinvesti pour la création de nouveaux produits ou des fusions-acquisitions ; les économistes ne s’accordant pas sur la question.

Quoiqu’il en soit, le top 8 des sociétés High-Tech de l’optimisation fiscale ; Apple, Microsoft et Google en tête ; c’est selon un rapport de Bloomberg plus d’un cinquième de l’évasion fiscale aux USA. Pour être factuel, c’est 420 milliards à l’étranger (un cinquième de 2.10 trillions de dollars ; trillion au sens américain de 10 puissance 12). Toujours selon ce rapport, le rapatriement de ces sommes engrangerait mécaniquement 90 milliards de dollars d’impôts pour les Etats-Unis ; suffisant pour financer le budget opérationnel de plusieurs départements pour un an dont la NASA, l’énergie, le transport, la sécurité sociale, le travail…

Du point de vue des Européens, la situation n’est guère plus enviable. Les géants du web se révèlent être des experts en matière d’évasion. Les GAFA ; comprenez Google, Apple, Facebook, Amazon ; et consorts savent si bien s’accorder du droit européen que des taxes spécifiques ou de nouvelles pratiques doivent être mises en œuvre pour éviter les petits malins, ou les mauvais payeurs ; à vous de choisir le qualificatif qui leur sied le mieux..

En outre avons-nous subit de plein fouet le scandale du LuxLeaks ; découvrant avec effroi ; qui a dit dégout ; qu’un gigantesque système dédié à l’optimisation fiscale était pratiqué à grande échelle par de très grandes entreprises : Apple, Amazon, Pepsi, Heinz, etc.

L’évasion fiscale, ce n’est pas moi, c’est le système !

Les impôts, ça n’est jamais très gai ; mais c’est pourtant fondamentalement nécessaire (pour construire des routes, des écoles, des universités, bref, le bien public commun...).

L’optimisation fiscale, voire l’évasion, n’est pas à rapprocher du systématique « illégal » ; loin s’en faut, c’est plutôt majoritairement l’inverse. Connaître les termes de loi, s’en accommoder pour trouver les moyens d’avoir le moins à puiser dans son porte-monnaie, c’est non seulement légal mais par ailleurs très intelligent.

Car la globalisation et financiarisation de l’économie rend la perception de l’impôt des états compliquée. Les sociétés peuvent facilement se retrouver à en payer plusieurs et c’est précisément l’argumentaire d’Apple et des autres : rapatrier leurs fonds serait néfaste car ils payent déjà un impôt local.

Reste à définir la notion de local. Faire en sorte de facturer des prestations sur le sol français par des sociétés irlandaises est idéologiquement particulièrement perturbant. Les sociétés peuvent arguer qu’il s’agit de sacro-saints principes économiques ; que ceux qui génèrent le capital doivent pouvoir en jouir selon leurs propres latitudes ; peuvent s’arc-bouter derrière des concepts comme le capitalisme, le libéralisme, faire un parallèle douteux avec la démocratie, dire que cette pratique est nécessaire, les taux d’imposition étant trop forts dans certains pays ; la France notamment.

Certes, elles créent de l’emploi et en cela, on devrait déjà se satisfaire.

Reste une réalité implacable. Elles n’hésitent pas à s’enrichir sur des sociétés et des citoyens, qui eux, respectent les règles du jeu. Elles amassent de l’argent, le stockent, là où d’autres en manquent. Il ne s’agit ni d’extorquer du monde et encore moins de profiter de situations juteuses. Effectivement, c’est leur droit le plus strict que d’optimiser ; économiquement parlant, ce qui se passe ailleurs n’est pas leur soucis. Sauf que nous ne parlons pas d’être philanthropique, de se lancer dans l’humanitaire, et encore moins de prendre le rôle de l’Etat ; juste d’être déontologiquement et humainement honnête : payer des impôts à l’endroit où ils devraient l’être vraiment.

Quand les sommes se comptent en milliards, quand l’argent est entreposé, et qu’ailleurs, de par le monde, il y a souffrance ou même mort ce n’est que faire preuve que d’un peu de logique et de soupçon d’humanité que de ne pas thésauriser à outrance.

C'est donc à l'Europe, la France de légiférer. Sans texte de loi point de salut ? Si quelque-chose n'est pas explicitement interdit, cela signifie-t-il que l'on peut le faire ? Stricto sensu et juridiquement oui. Mais l'on a également la possibilité d'user de précepte tout bête, qui nous distingue paraît-il si visiblement de l'animal, et qui se nomme : "avoir une conscience".

Les entreprises, on les nomme aussi sociétés, c'est-à-dire groupement d'individus, et ce n'est pas un hasard. Elles pratiquent elles aussi de la gouvernance, ont des us, coutumes, cultures, font des choix et ont des responsabilités. Et elles sont loin de n'être qu'économiques ; tentative si courante de se défausser de certains patrons, qu'on finit par le croire.

Une gestion patriarcale ou matriacarle des choses, agir en "bon père" ou "bonne mère de famille", c'est complètement possible mais on ne demande pas tant. Simplement accepter les impôts comme une redevance juste de ce qu'on touche par ailleurs. C'est précisément ce que font de nombreuses entreprises, aussi dur que ce soit. Hypocrisie totale donc, pour les grandes sociétés High Tech, que de se confondre en justifications inutiles pour leur fiscalité. C'est conceptuellement inacceptable, à moins de n'avoir qu'une vision financière des choses.

Pour la petite histoire, un autre philosophe s’opposait à Hegel qui, selon ses termes, marchait sur la tête ; il fallait le remettre sur ses pieds. Le moteur de l’Histoire, ce ne sont pas les passions, mais bien l’Économie qui mène l’Homme dans ses pires travers. Marx et ses théories ne sont probablement pas un exemple de ce qui se fait de mieux, mais cette réflexion mérite attention.

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