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L'Indonésie redoute la menace djihadiste

par Fergus Jensen

DJAKARTA (Reuters) - Dans la jungle reculée des Célèbes, les forces indonésiennes se préparent à traquer l'ennemi public n°1 du pays, l'activiste islamiste Santoso qui a été le premier Indonésien à faire publiquement allégeance à l'organisation Etat islamique (EI).

Santoso a jusqu'au 9 janvier pour se rendre. Passé ce délai, l'armée passera à l'action.

Mais la menace véritable pourrait être bien plus proche du coeur politique et économique du pays musulman le plus peuplé de la planète.

La semaine dernière, une série d'opérations antiterroristes menées sur l'île de Java, la principale de l'archipel, sur la base de renseignements communiqués notamment par les Etats-Unis et l'Australie, a abouti à l'interpellations de neuf partisans de l'EI et déjoué, selon les autorités, plusieurs projets d'attentats.

Des substances servant à la fabrication de bombes et des "manuels du djihad" ont été saisis dans le centre et l'ouest de Java, selon le quotidien Jakarta Globe.

"Ce réseau terroriste préparait des attentats à la bombe en différent lieux en Indonésie. Certains sont membres de l'EI, d'autres des sympathisants", a déclaré le chef de la police indonésienne, le général Badrodin Haiti.

Plusieurs cibles, dont le président Joko Widodo, étaient dans leur viseur, a précisé la police, ajoutant que les suspects arrêtés n'étaient que des hommes de base de la mouvance islamiste. Leurs chefs, eux, sont toujours en liberté et pourraient continuer de préparer des attentats.

Signe de l'inquiétude, 150.000 membres des forces de sécurité ont été mobilisés en cette fin d'année pour protéger les lieux publics et les lieux de culte minoritaires (un peu moins de 10% des Indonésiens sont chrétiens, moins de 2% sont hindous).

TRANSFERTS DE FONDS EN PROVENANCE DE L'EI

L'Indonésie a été le théâtre d'une vague d'attentats dans les années 2000 qui a atteint son paroxysme en octobre 2002 dans le quartier des boîtes de nuit de Kuta Beach, à Bali. Plusieurs bombes avait fait 202 morts, dont 88 touristes australiens. L'attaque avait été attribuée à la Jemaah Islamiyah (JI).

D'autres attentats ont visé à cette époque Djakarta, comme l'attaque à la bombe contre l'hôtel Marriott en août 2003, qui a fait une dizaine de morts, ou l'attentat à la voiture piégée contre l'ambassade d'Australie qui a fait une dizaine de morts en septembre 2004. A Bali, une série d'attaques coordonnées contre des restaurants a fait une vingtaine de morts supplémentaires en octobre 2005. En 2009, deux hôtels de Djakarta ont été frappés par des attaques à la bombe.

Dans les années qui ont suivi, la Jemaah Islamiyah a été en partie démantelée et ses principaux chefs arrêtés ou tués. Mais les autorités redoutent une résurgence de la violence islamiste inspirée cette fois par l'Etat islamique.

Lundi, la police indonésienne a révélé que les suspects arrêtés sur l'île de Java avaient bénéficié de transferts de fonds en provenance de Syrie. "Ils sont liés à l'EI. Ils ont reçu de l'argent d'un haut responsable de l'EI qui travaille comme un coordinateur afin de lier l'EI et l'Indonésie", a déclaré Anton Charliyan, porte-parole de la police indonésienne, lors d'une conférence de presse.

Le gouvernement estime qu'il y a plus de 1.000 partisans de l'EI aujourd'hui en Indonésie. A l'image des djihadistes européens, entre 100 et 300 d'entre eux auraient séjourné en Syrie.

UN "CALIFAT ÉLOIGNÉ"

Le ministre australien de la Justice, George Brandis, qui se trouvait cette semaine à Djakarta pour renforcer la coordination bilatérale en matière de sécurité, a déclaré au quotidien The Australian qu'il ne faisait "aucun doute" que l'organisation d'Abou Bakr al Baghdadi, qui a proclamé un califat sur les territoires qu'elle contrôle en Irak et en Syrie, cherchait à établir un "califat éloigné" en Indonésie.

Pour Sidney Jones, spécialiste des groupes islamistes armés à l'Institute for Policy Analysis of Conflict de Djakarta, le risque d'assister en Indonésie à un attentat similaire aux attaques djihadistes du 13 novembre à Paris est limité, mais la menace progresse aux abords immédiats de la capitale, Djakarta.

"Tandis que la police et l'armée se focalisent sur la traque du terroriste le plus recherché d'Indonésie, Santoso, dans les collines de la province de Sulawesi Central, l'EI a réussi à construire un réseau de partisans dans les banlieues de Djakarta", écrit-elle dans une note récente.

Elle ajoute que les "djihadistes de l'intérieur", qui ont principalement visé ces dernières années les forces de sécurité, pourraient s'en prendre désormais à des "cibles plus faciles" - des journaux ont rapporté que les groupes démantelés la semaine passée visaient la minorité chiite - ou à des Occidentaux.

Santoso, même s'il vit dans la clandestinité à plus de 1.500 kilomètres de Djakarta, peut jouer un rôle crucial dans les processus de radicalisation. Depuis la jungle du secteur de Poso, il est très actif sur les sites islamistes et, souligne Sidney Jones, il peut se targuer de liens avec la mouvance qui gravite autour de l'EI.

"Il est l'une de nos priorités parce qu'un grand nombre de réseaux dans d'autres régions sont affiliés à lui", confirme Agus Rianto, de la police indonésienne.

Santoso lui-même se présente comme un commandant de l'armée de l'Etat islamique en Indonésie.

"L'idée selon laquelle l'EI pourrait s'emparer de l'Indonésie est absurde. En revanche, qu'il puisse entreprendre des opérations terroristes en Indonésie pour la déstabiliser est entièrement possible", juge Hugh White, professeur d'études stratégiques à l'Australian National University.

(avec Kanupriya Kapoor et Randy Fabi à Poso, dans les Célèbes, et Colin Packham à Sydney; Henri-Pierre André pour le service français)

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