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High-Tech

Loi sur le renseignement : pourquoi s’y opposer ?

Mauvaise nouvelle. Si vous vous pensez libres sur Internet, ce n'est qu'un sentiment. La réalité est toute autre : "Surfez, vous êtes enregistrés"

Vous n’en avez pas rêvé, vous l’avez même cauchemardé ; certains écrivains et réalisateurs de films, eux, l’ont exorcisé sous forme d’histoires futuristes, dépeignant des sociétés dénuées d’humanité, pilotées par la technique ; et où en dehors du cadre, il n’y a point de salut.

Des relations humaines aseptisées, des vies cadrées, homogènes, la fin du hasard et la vénération du Dieu « contrôle ».

Contrôle génétique, contrôle de la géolocalisation des individus, contrôle des communications téléphoniques ou informatiques, contrôle de vos données corporelles, contrôle de votre pensée. Certes, nous ne sommes pas encore sur ce diktat de la surveillance à outrance, toutefois nous nous en approchant à grands pas ; la loi sur le renseignement permettant au gouvernement de pister toutes nos actions numériques, pour le bien, contre l'extrémisme, pour notre sécurité, sous l’égide d’un pur concept : la liberté.

Voyons donc, vous êtes libres ! Puisqu’on vous le dit, on vous l’enseigne à l’école, on le placarde sur des affiches électorales, on le vante à la télévision, en parle à la radio et sur internet ; nous, sociétés occidentales, sommes des démocraties, des exemples à suivre pour tous les peuples. Nous portons le noble mot « liberté » dans nos entrailles ; nous nous sommes forgés en son sein.

Mais cette liberté doit être policée ; elle doit être convenable socialement, on ne peut pas tout dire, tout penser alors on légifère. La volonté est louable, certains propos s’apparentant à de pures immondices et témoignant assurément d’esprits stupides, de puits d’ignorance, de summum de stupidité ou plus crument dit : de connerie profonde.

Nul besoin de ressasser les affaires Dieudonné ; appel à la haine ou sombre comique, la justice a tranché ; ou les propos exécrables et condamnables des extrémistes de tous bords.

Notre liberté nous la concevons ainsi : la protection de nos chastes oreilles par l’abrogation de l’inconcevable. Et comme il s’avère impossible de limiter la pensée, nous muselons la parole dans la vaine espérance que taire ce qui choque était suffisant pour l’annihiler. En procédant ainsi, nous incitons insidieusement ceux qui ont des pensées néfastes à se regrouper et agir cachés.

Et comme l’histoire est jonchée de coups d’éclat qui fermentaient dans l’ombre et qui surgissent avec force et fracas dans l’espoir de tout renverser, nous avalisions le contrôle tous azimuts, c’est pour notre bien. C’est vrai, celui qui n’a rien à se reprocher peut bien céder un peu de sa liberté pour des principes sécuritaires, l’État peut tout voir, tout écouter puisqu’il n’y a rien à découvrir.

Si ce point de vue se comprend a priori, il s’avère conceptuellement pernicieux. D’une part parce que céder de sa liberté c’est témoigner à la fois de l’impuissance du pouvoir et des citoyens et à trouver une meilleure alchimie, c’est au demeurant même la définition ultime de liberté pour Montesquieu ; sombre définition. Céder de sa liberté pour la paix revient pour Rousseau à offenser nature et raison : la liberté ce n'est pas du troc, ça ne s'échange pas, ça ne se négocie pas et encore moins se diminue, c'est un état de fait et de nature.

D'autre part, parce qu’offrir un pouvoir de contrôle sans contre-pouvoir de validation revient à croire aveuglément qu’un état est stable dans le temps et qu’un régime politique ne se meut que par de belles décisions et de pures volontés.

Oui, la confiance n’empêche pas le contrôle ; c’est une phrase qu’on aime à citer ; pourtant lorsque l’on sait qu’elle fut énoncée par Lénine en personne, elle prend d’emblée une autre dimension. Prémunir et protéger fait partie des prérogatives de l’État, mais la loi sur la surveillance numérique s’apparente à une démarche dictatoriale : le besoin, la nécessité de tout savoir afin d’étouffer en son œuf toute velléité de procéder hors du cadre.

Certes, en France, c’est contre l’extrémisme ; c’est un vœu pieux d’espérer tout endiguer ainsi. Sauf que ce type de lois se retourne inlassablement contre ceux qu'elles sont censées protéger. Pensez-vous sérieusement, une fois cette loi actée, que nos chers terroristes ne chercheront pas à procéder autrement ? On en arrêtera, certainement, mais pas les plus intelligents, pas ceux qui ont la capacité à pirater TV5 Monde. Pourquoi ?

Parce qu’ils sauront crypter leurs communications à coups d’encapsulation d’algorithmes de chiffrement, parce qu’ils créeront leurs réseaux parallèles, parce qu'ils feront des rebonds, parce qu'ils utiliseront des VPN, parce qu’ils utiliseront des réseaux de type Commotion, etc.

In fine cette loi liberticide possède l’effet pervers de diminuer les droits du quidam et d’inciter ceux qu’elle traque à renforcer leur protection.

Véritables boîtes noires au sein des réseaux des FAI, accès au flux directement chez les hébergeurs et récolter les métadonnées ; voilà l’objectif. Pour information, la métadonnée n’est pas la donnée elle-même, mais ce qu’il y a autour, ce qui la caractérise et donne sa topologie. Autrement dit, savoir qui envoie un message, vers qui, quel jour, quelle heure, quel site est visité, pendant combien de temps, etc.

Autrement dit, savoir le comportement de tout concitoyen, car la métadonnée est parfois plus intéressante que la donnée elle-même.

L’algorithme de contrôles possède un garde-fou, la CNCTR (commission de contrôles des techniques de renseignement), qui en outre n’a qu’un avis consultatif sur les demandes d’interceptions ; celles-ci restant l’apanage du Premier ministre. Il était assurément possible de procéder autrement, ne serait-ce que passer par la CNIL, plus indépendante.

Dans tous les cas, cette loi engrange des mécontentements. Des hébergeurs ont d’ores et déjà annoncé leur volonté de quitter la France. Certains ont été rattrapés par le gouvernement, précisant que l'hébergeur distinguera lui-même les données des métadonnées avant l’envoi à la fameuse boîte noire.

Mais la procédure d’urgence, qui permet de se passer manu militari de la CNCTR, est toujours bien présente. Elle a été amenuisée pour protéger certaines professions (journalistes, avocats…).

Des effets positifs de cette loi ?

Douce utopie, nos concitoyens auront le sentiment d’être plus protégés, pensant à tort endiguer des horreurs comme pour Charlie Hebdo.

Autre avantage, les organes de conformité (ou compliance) des sociétés qui les freinent à aller sur le cloud de peur de fuite d’information ne devraient plus longtemps hésiter : qu'il soit chinois, nord-coréen, américain ou français, Internet sera sous surveillance.

Et pour conclure, un tweet de Fleur Pellerin en 2011

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